iPhone Made in USA : le rêve de Donald Trump est-il bien raisonnable ?
"Made in China, Designed in California" : une inscription qui caractérise de longue date les produits d'Apple, et que le groupe, hormis une volonté de diversifier une partie de la production vers l'Inde et le Vietnam, n'a jamais exprimé son désir de changer. Mais c'était sans compter sur Donald Trump, qui n'a de son côté jamais caché sa frustration face au fait qu'une marque américaine aussi iconique produise en Asie. "Je vais faire en sorte qu'ils fabriquent leurs satanés ordinateurs et téléphones dans notre pays plutôt qu'à l'étranger", promettait-il ainsi déjà lors d'un rallye au cours de la campagne de 2016.
Plus déterminé et moins restreint que durant son premier mandat, le président américain entend désormais obtenir gain de cause, en utilisant son instrument favori : les droits de douane. Donald Trump a ainsi promis des tarifs de 25% sur les smartphones vendus aux Etats-Unis et fabriqués à l'étranger, une mesure qui concernerait toutes les marques, mais vise principalement Apple. "J'ai de longue date signalé à Tim Cook que je souhaitais que les iPhone vendus aux Etats-Unis soient fabriqués aux Etats-Unis, et non en Inde ou ailleurs", s'est-il justifié. Cette décision constitue un virage par rapport à la position adoptée par Trump en avril. Il avait alors exclu smartphones et ordinateurs de ses droits de douane prohibitifs contre la Chine (qui ont depuis été mis en pause).
Mission impossible pour Apple ?
Mais pour le groupe de la Silicon Valley, rapatrier tout ou partie de sa production aux Etats-Unis constituerait un saut vertigineux dans l'inconnu. Se pose d'abord la question des coûts. Pour produire aux Etats-Unis, Apple devrait tirer un trait sur les investissements qu'elle a réalisés en Asie depuis des décennies pour y implanter ses usines, et supporter des coûts fixes considérables afin de reconstruire tout ou partie de sa chaîne de valeur aux Etats-Unis. Une fois cet effort réalisé, l'entreprise ferait également face à des coûts de production bien supérieurs, la main d'œuvre américaine étant naturellement plus onéreuse que celle de Chine ou d'Inde. Dan Ives, chercheur spécialisé dans les technologies numériques chez Wedbush, estime qu'un iPhone fabriqué "made in USA" coûterait environ 3 500 dollars, contre environ 1 200 aujourd'hui. "Un iPhone produit aux Etats-Unis est un conte de fée", assure-t-il.
Apple pourrait bien sûr opter pour une solution de compromis et maintenir la majorité de sa chaîne de valeur en Asie, tout en déplaçant les étapes finales, comme le montage, aux Etats-Unis, afin d'y créer des emplois et de satisfaire Trump. Mais cette option aurait, elle aussi, plusieurs inconvénients. D'abord, Apple devrait sans doute payer des droits de douane sur les pièces importées aux Etats-Unis depuis l'Asie, à moins d'obtenir une dispense du président. Surtout, Apple a construit en Asie un réseau de fournisseurs compact et très efficace, qui lui permet de tester en permanence ses produits et de résoudre rapidement les défauts de fabrication en remontant son process de production si un problème apparaît en aval. Avoir sa chaîne de valeur répartie entre les deux rives du Pacifique induirait une perte considérable de souplesse et d'efficacité pour le groupe.
Autre problème : le manque de main d'œuvre qualifiée aux Etats-Unis pour répondre aux besoins d'Apple. En effet, si les entreprises de la tech ont dans un premier temps délocalisé en Asie afin de réduire leurs coûts de main d'œuvre, elles sont restées pour l'abondance de travailleurs hautement qualifiés, un argument qu'avançait Tim Cook dans une interview accordée à Fortune en 2017. "Nos produits requièrent de travailler avec des outils de haute précision et des matériaux de pointe", affirmait-il. "Aux Etats-Unis, vous peineriez à remplir une salle de réunion avec la totalité des ingénieurs spécialisés dans ces outils. En Chine, ils couvrent plusieurs terrains de football."
Un argument déjà avancé en son temps par Steve Jobs, son prédécesseur. L'un des biographes de celui-ci rapporte ainsi une conversation avec Barack Obama, alors président, durant laquelle Steve Jobs aurait déclaré avoir besoin de 700 000 ouvriers et 30 000 ingénieurs sur site en permanence dans ses usines chinoises, des chiffres selon lui tout simplement impossibles à atteindre dans son pays d'origine. A l'heure où les Etats-Unis sont à la fois fortement désindustrialisés et en situation de quasi plein emploi, le fait qu'Apple parvienne à rapidement recruter le nombre de talents industriels nécessaires pour subvenir à ses besoins parait bien illusoire. Les usines chinoises ont également atteint un niveau de qualité et d'automatisation que leurs homologues américaines sont encore bien en peine de répliquer.
Si Apple a malgré tout pour intention d'investir davantage aux Etats-Unis, comme en témoigne sa récente annonce concernant 500 milliards de dollars investis sur les quatre prochaines années, ces sommes seront concentrées dans la construction de serveurs pour l'entraînement des algorithmes d'IA, le financement d'activités de recherche et développement et la création de contenus audiovisuels. Rien ne témoigne pour l'heure d'une volonté de l'entreprise de rapatrier sa production sur le sol américain.
Donald Trump peut-il tordre le bras d'Apple ?
Dans quelle mesure Trump peut-il mettre ses menaces à exécution ? A-t-il le pouvoir de mettre en place des droits de douane sur un produit spécifique, voire sur une seule entreprise ? Si le Congrès lui a pour l'heure laissé les mains libres dans la mise en place de droits de douane sur les pays tiers, cette nouvelle initiative soulève d'autres questions.
Donald Trump pourrait invoquer l'International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) de 1977, qui donne au président le droit de mettre en place des mesures économiques d'exception après avoir décrété une situation d'urgence constituant une menace exceptionnelle pour les intérêts américains. Le président a d'ailleurs déjà évoqué cette loi pour justifier ses droits de douane contre le Canada et le Mexique, qualifiant la vague d'entrées illégales et l'importation de fentanyl sur le territoire américain de situations d'urgence requérant une action immédiate.
"Du point de vue du président, l'IEEPA a l'avantage de n'exiger aucun processus particulier. Il peut simplement déclarer que nous sommes en situation d'urgence et utiliser les pouvoirs que lui confère cette loi", explique Tim Meyer, de la Duke University School of Law.
La question reposerait alors entre les mains des juges, qui seraient chargés d'évaluer si les actions de Trump constituent une application conforme de la loi ou non. Douze Etats américains différents ont à cet égard déjà saisi la justice contre les droits de douane déclarés par Donald Trump lors du "Liberation Day" : une cour basée à Manhattan est actuellement en train d'examiner le dossier. "Les plaignants ont à mon sens de bonnes chances de gagner, bien que ce ne soit nullement garanti", estime Tim Meyer.
Le droit américain étant fortement basé sur la jurisprudence, une victoire de l'hôte de la Maison-Blanche renforcerait considérablement la légitimité de ses droits de douane, y compris dans d'autres cas, comme celui d'Apple. Une défaite, à l'inverse, constituerait un sérieux revers pour sa politique : "Si les plaignants l'emportent, le succès d'Apple dans un procès similaire serait quasiment garanti", selon Tim Meyer.
En attendant, Trump opte pour sa stratégie favorite : foncer, quitte à se battre en justice plus tard, et espérer décrocher un "deal" qu'il puisse brandir comme une victoire entre temps.